Du haut de la fenêtre de sa chambre, les deux mains sous le menton, la jeune femme observait avec admiration la cité. Fourmillante de rêves et de cauchemars. C’était un magnifique atelier éveillé et constamment voilé d’une brume légère. Les gouttelettes fines et vaporeuses mystifiaient somptueusement la capitale, détentrice d'un charme particuliers dont le médecin ne se lassait pas. A l’horizon se profilaient la cime des clochers, les cheminées et toitures dominés par un ciel à peine dégagé. Et la vie était à ses pieds. Bavarde et chantante. Pleurnicharde et criarde. En bas, en chaque âme, il y avait un rêve. Un espoir et l’infini des possibles. La ville était un théâtre en perpétuel représentation, une scène merveilleuse et pleine d’enseignements. La jeune Higgs avait appris, lors de ses contemplations muettes, son langage et les coutumes moldues. Ainsi, elle s’était instruite et avait dérobé une part de vérité à l’ombre d’une éducation aveuglée par la valeur du sang. La nature humaine ayant toujours été un sujet de grand intérêt pour elle, Hudson goûtait avec plaisir chaque découverte quand bien même son étude la confondait dans un personnage qu’elle n’était pas. Une traitre à son sang. Car tout le bleu des mers anglaises coulait dans ses veines, elle savait distinguer son rang de celui d’un autre sans pour autant le dénigrer. Si seulement elle pouvait leur faire entendre raison à Hayley, Calliope, Liam et plus que tout à Tyzonn, ils comprendraient que jamais elle n’avait renié sa naissance.

Fermant les persiennes, un fluet chant de flûtes lui rappela l’heure. Le métronome ponctuel n’attendait jamais. Il comptait avec une précision sans faille chaque seconde comme pour marquer d’une empreinte éternelle le plus fragile instant. L’aiglonne se défit de son peignoir pour s’apprêter d’une robe légère d’été. L’occasion si prêtait parfaitement ; un rendez-vous avez sa sœur. Hayley Travers. Elle ne l’avait vu depuis un long moment mais cela n’avait aucun importance, la tireuse d’élite gardait la même place qu’autrefois dans son cœur. Aussi, la formalité n’était pas au ton du jour bien qu’elle fut consciente des précautions dont elle devait faire preuve avec la sorcière. Son affection n’avait erroné ses souvenirs d’honteux mensonges, au contraire, elle les avait gardé intacts. Aussi beaux qu’amers, ils n’avaient de valeur qu’ainsi. Elle enfila des spartiates à talons et passant une main dans ses longs cheveux châtains clairs, elle envisagea une seconde les attachés mais les laissa retomber dans son dos avec une moue satisfaite. Elle ne désirait pas faire attendre son amie, consciente de son emploi du temps aussi chargé que le sien. Et d’un pas allègre, Hudson retrouva les ruelles grouillantes d’animation, avec enthousiasme et une excitation candide. Quand la métamorphomage se considéra être à l’abri de regards indiscrets, elle transplana afin de se rendre à Pré-au-Lard.

La ville sorcière avait subit peu de changements depuis sa toute première venue, aussi elle en foulait les allées avec une douce nostalgie à chaque visite et en devinait les plus subtiles variations avec un ravissement enfantin. Je suis irrémédiablement liée à cette ville… que ce soit Liam ou Hayley, c’est toujours ici que nous nous donnons rendez-vous, sourit-elle. Ses pensées effleurèrent Tyzonn et soudain elle appréhenda ses retrouvailles avec la jeune femme ; leurs aspirations étaient si semblables et leurs ambitions si obstinées qu’elle ne pouvait s’empêcher de les assimiler l’un à l’autre. Balayant une mèche derrière son oreille gauche, elle reporta son attention sur le bar qu’elle pénétra et ses craintes cédèrent à une bouffée de chaleur. Ses yeux parcoururent avec attention la salle bondée de clients assoiffés. Dans l’agitation elle dut s’y reprendre à deux fois avant de distinguer la silhouette menue mais athlétique de sa protégée d’autrefois. Elle apprécia la prestance qui se dégageait de tout son être. Droite dans toute sa dignité, il émanait d’elle un sentiment de force troublante et familière, à la fois sanglante et attirante. Se glissant entre les tables occupées, Hudson se précipita au cou de la sorcière, puis l’embrassa sur la joue droite avec affection. « Comme tu m’as manquée ma chérie », lui souffla-t-elle à l’oreille en l’étreignant encore comme pour s’assurer qu’elle était bien réelle. Submergée par la joie de retrouver Hayley, elle en oublia presque qu’elle se trouvait dans un lieu public, mais une subtile crispation musculaire le lui rappela. Aussi elle s’installa en face de son amie un sourire rayonnant aux lèvres et des étincelles dans les yeux quand un serveur vint prendre sa commande. Sans lui prêter d’attention particulière, elle le pria de lui servir un sirop de cerise soda avec boule de glace et ombrelle d’une voix presque chantante. « Raconte-moi un peu ce qui s’est passé dans ta vie ces deniers temps ! Sans oublier tous les détails croustillants », l’enjoignit-elle avec une bonne humeur presque palpable et une curiosité que la maturité avait avivée. Elle n’entendait pas parler politique ou désastre pour l’heure, davantage désireuse de pouvoir s’entretenir avec son interlocutrice des petits riens de la vie qu’elle préférait valoriser à toutes les horreurs qu’elles devaient affronter dans leur métier respectif. Elle savait pourtant que son plaisir serait de courte durée aussi elle en savourait chaque seconde.

De l’hésitation ombra un instant les yeux fauves d’Hayley. Alors qu’elles étaient toutes deux élèves la jeune Travers avait toujours fait preuve d’une certaine réserve comme pour garder une part de son mystère intacte. Ses secrets n’avaient jamais appartenu qu’à elle. Mais l’adolescente d’antan savait que ce jardin dont les fleurs ne s’épanouissaient qu’à la tombée de la nuit était un Eden auquel elle n’appartenait pas et n’appartiendrait jamais. Hayley l’en avait toujours écartée. Et en cet instant, encore, elle scellait le portail des roseraies noires. Mais Hudson sourit comme si elle ne s’était aperçue de rien. Comme autrefois.
« Vicieuse ! » susurra-t-elle du bout de ses lèvres en accompagnant son exclamation d’un regard amusé, entendu et légèrement inquiet. Elle avait le souvenir d’une jeune femme pleine de mordant dont le regard envoûtant hypnotisait la gente masculine pour mieux s’en jouer. Oui, c’était un jeu, ce n’était qu’un jeu. Mais qu'en était-il aujourd'hui ? La moue belliqueuse de son amie exprimait plus que des mots. Le divertissement se parait des allures d’un art maîtrisé souligné par un semblant de perversité aux reflets presque malsains sous les prunelles de son interlocutrice. Un léger frisson la parcourut : le tireur d’élite était un être intéressé que l'émotion ne faisait frémir et dont seuls les privilèges ambitieux de son rang préoccupaient, elle le savait. A chaque rencontre elle tremblait les infimes changements de sa sœur d'antan et s'obligeait à enfermées ses craintes dans son propre coffre fort. La peur, même pour autrui, nuit à la lucidité autant qu'à la maîtrise de soi, se rappela-t-elle en rabattant une mèche derrière son oreille. « Outre ces bellâtres sans intérêt sinon celui du divertissement, n’y a-t-il personne qui trouve grâce à tes yeux ? » s’enquit-elle les prunelles pétillantes. Elle sourit, intéressée, un air de défi peint sur ses traits.

Elle balaya les excuses d’Hayley d’une moue délicate et tendre. « Ne t’inquiètes pas pour cela… à vrai dire, j’ai été moi-même très prise ces derniers temps. Nous sommes débordés à l’hôpital depuis avril. Je commence sérieusement à songer y vivre, mais je crains que l’idée ne plaise à Nathaniel ! » Son rire carillonna, aussi léger qu’un vent de printemps, et pourtant empreint de la mélancolie de l’automne. Elle but une gorgée sucrée de sa boisson dont la saveur pétillante taquina le bout de sa langue. Ses yeux suivirent le mouvement circulaire de sa paille un moment, puis se concentrèrent à nouveau sur le faciès serein de la jeune femme. « J’arrive doucement à la fin de ma formation médicomagique. Plus que deux ans de spécialisation ! » Le ton de sa voix trahit son impatience ; elle rêvait de ce jour depuis tant d'années, avait passé des heures entières à débattre de sa vocation avec ses amis sans que 'aucun ne la comprît vraiment et enfin elle voyait le début d'une nouvelle route.

Sa main se posa sur celle de son amie. « Tu sembles soucieuse. Quelque chose te tracasse ? » Elle la couva de ses yeux clairs avec tendresse et ôta sa main de la sienne. Un sourire équivoque dansa sur ses traits. « Les grandes sœurs ont ce pouvoir que la distance et le temps n'altère pas : elles sentent quand leur frères et sœurs ont ce, on ne sait quoi, de différent. » Le temps et la distance lui avaient appris à sentir ces infimes changements, si imperceptibles qu'il fut pour autrui. Cette sensibilité qui lui était propre ne lui permettait cependant de connaître, ni de comprendre réellement la nature de ces indicibles changements, seulement de les appréhender. « Mais tu n'es pas obligée de m'en parler. Saches seulement que tu n'as pas à te contraindre à quoi que ce soit, même pas à sourire. Tu sais, je n'ai pas beaucoup changé, je préfère aux simagrées impersonnels et courtois la franchise. »