Aquila pénétre dans l’alcôve qui leur est réservée à la suite de son ainé, balayant brièvement la pièce d’un œil critique avant de s’effacer pour permettre à sa cavalière de prendre place sur les canapés de velours sombres tandis que son frère porte un toast scandaleux à la soirée à venir. Et Aquila promet de lui faire payer cette remarque déplacée. Sa demoiselle eut l’excellente idée de se taire et le bon goût de lui renvoyer poliment la balle en parlant de sa propre cavalière que la politesse aurait voulu qu’il attende avant de porter un toast quelconque. Mais Corvus avait toujours réponse à tout et des façons bien libertines et volages de composer avec le beau sexe.

Aquila a beau en avoir plus que l’habitude, c'était là quelque chose qu’il a toujours du mal à accepter. Il mépriset chacune des filles passées entre les draps de son frère, chacune de ces potiches à son bras, trophées d’une guerre perdue d’avance, jouets désarticulés et absurdes qui s’oublient dans les bras de son ainé comme pour mieux nier le pathétique de leur misérable condition. Et cette Lizbeth n’est qu’une parmi tant d’autres, l’une des régulières de son frère, une qui n’a plus même à s’imposer l’effort de la conquête. Pour peut que cela lui en demande un, d’effort. Il n’y a qu’à voir comme elles font la queue, pauvres et misérables petites choses, pour pendre un instant à son bras, passer les mains à son cou et espérer atteindre ses lèvres. Et lui se laisse faire, leur offre son corps volontiers, ses lèvres voir même un verre de ses précieux alcools. Mais son frère n’a jamais offert son cœur, et Aquila en gardien silencieux ne peut l’en blâmer et s’il méprise chacune de ses amourettes, il ne peut accorder à chacune plus que cela, une emprunte éphémère sur son frère. Un parfum jusqu’au matin. Rien de plus.

Le cadet des Hunter sort de ses pensées le regard plus sombre et le dos un peu raide. Il se saisit des deux coupes posé sur la table avant d’en tendre poliment une à sa cavalière qui la prend dans un sourire. Lui-même n’y porte pas les lèvres immédiatement, ayant apprit depuis son plus jeune âge à observer la robe, la tenue et l’odeur d’un alcool avant de le porter en bouche. Cette fois-ci il ajouta à son rituel de lever son verre en direction de son frère, le remerciant par la même pour son compliment quant à son masque. Un travail certes minutieux mais à ses yeux c’était là un minimum en tant qu’apprenti horloger. Pourtant il ne peut s’empêcher de se tenir plus droit, le menton légèrement plus haut, indéniablement fier comme toujours lorsque son ainé lui faisait le moindre compliment. Le liquide dans sa bouche s'avère délicat et sirupeux, légèrement sucré. Une boisson noble, probablement couteuse, assez pour leur faire oublier l’affront de la précipitation d'organisation de ce bal.

- Hm.. un Château Grillon ou un Millésime Bourvrier peut-être ? Quoi qu’il en soit une boisson à la hauteur de l’affront qui nous a été fait. On n’impose pas à la haute société de s’organiser en moins d’une dizaine. Sais-tu Corvus, qui a put se libérer, et en conséquent qui nous serions susceptibles de rencontrer ?

Bien évidemment Corvus ne s’était pas posé de questions. Pas davantage sur la soirée en elle-même que quand aux invités qu’ils risquaient d’y rencontrer et une fois encore, Aquila se demanda ce qu’il y faisait lui-même. L’air pincée de sa cavalière dont les yeux à demi fermés allaient d’un hunter à l’autre, imitait gauchement ici la tenue du verre, là la manière de garder le vin en bouche avec un air de félicité digne d’un felix felicis. Le cadet reporta son attention sur la jeune femme, s’amusant à essayer de deviner où et en quelle occasion elle aurait rencontré son frère et qu’est ce qui, dans ses manières et sa façon d’être, aurait pu laisser penser à son ainé qu’elle pourrait être à son goût. Non pas qu’elle lui déplaisait. S’il voulait être tout à fait honnête, elle était objectivement charmante selon les normes esthétiques en vigueur pour une jeune sang pure, savait se tenir en société, semblait faire usage de sa langue et verve avec un plaisant mélange d’audace, de candeur et de retenue. Toutefois, il ne ressentait à son égards qu’une indifférence ennuyée et s’amusait bien davantage de l’intérêt de son frère pour cette dernière que de ce jeu de charme désuet qu’elle lui adressait sans manquer de faire les yeux doux a Corvus. Aquila ne saurait toutefois dire si la jeune femme s’intéressait indifféremment à tout sang pur et Hunter qui se présenterait ou si celle-ci avait tout simplement compris que pour obtenir les grâces du plus jeune il fallait continuer à plaire à l’ainé.

Pour Corvus, la liste des invités relevait du détail et il lui importait peu de savoir qui se cachait sous quel masque, pour ne pas dire que la situation lui était ainsi bien plus agréable. Comment pourrait-il en être autrement pour quelqu’un qui avait fait du monde un terrain de jeu ? Pour Aquila en revanche, il s’agissait du genre de détail qui avaient toute son importance et était seul garant de passer une agréable soirée. La présence de son frère aurait toutefois pu lui suffire si celui-ci n’allait pas disparaître vers d’autres lieux et mystère passé la première heure, il n’y avait qu’a le voir déjà penché à la balustrade, bien incapable de rester assit à sa place et ce, malgré la présence d’une bonne bouteille. Aquila ne l’ignorait pas et était déjà en train de se demander vers qui il se tournerait pour s’éviter un tête à tête qui pourrait s’avérer inconfortable sinon embarrassant.

Qu’il ait avoué ne rien connaître de la réponse quand à l’identité des invités n’empêcha pas Corvus de s’y essayer avec un humour mi amusé mi moqueur et Aquila ne put retenir un soupire las. Il ne jugea pas utile de relever le commentaire quand à la difficulté qu’aurait eu son frère pour lui trouver une cavalière. Outre qu’il n’avait rien demandé quant à cette dernière –chose bien inutile, Aquila ne s’occupait plus de ses cavalières depuis sa première et infortunée aventure alors qu’il était encore à Poudlard. Inutile de préciser que ladite sortie était du fait et donc de la responsabilité de Corvus- il ne voulait pas montrer a son frère qu’il récoltait soigneusement toutes les morceaux de son puzzle afin de reconstituer le « où et comment Esopia et Corvus s’étaient rencontrés » . Aquila avait toujours adoré les puzzles et les devinettes. Autant que Corvus avait toujours eu a cœur de perdre, mélanger, cacher une ou plusieurs pièces dudit puzzle. En parlant de mélange, voici que son ainé lui agitait sous le nez une nouvelle énigme, bien plus alléchante que la première et Aquila fondit sur cette dernière comme un gryffondor sur une porte à l’entrée interdite et susceptible de cacher un danger de préférence mortel. Toutefois les sourires bienveillant et doux qui flânaient imperceptiblement au coin de ses lèvres rassurèrent le cadet qui se mit à espérer en une heureuse surprise.

Il retient pourtant une grimace lorsque Corvus mit un point d’honneur à intégrer de nouveau sa cavalière à leur conversation. La jeune femme, ravie, eu un magnifique sourire qui se figea légèrement lorsqu’elle prit conscience de tout ce qu’impliquait de répondre à une telle question. Aquila eu un regard désapprobateur qui sembla davantage amuser Corvus alors que le plus jeune ne pouvait s’empêcher d’analyser la situation et d’en tirer d’autres pièces pour son puzzle. Esopia répondait avec une bonne volonté un peu trop empressée, signe manifeste qu’elle ne devait pas assez connaître son frère pour se prémunir de ce genre de piques et tests par une seconde de silence bien à propos pourtant usité dans la haute société. Sa famille ne devait pas être sang pure depuis plus d’une génération. Toutefois, elle réussit rapidement à se reprendre tout en rappelant insidieusement à Aquila son rôle de cavalier et ses devoirs envers sa personne. Celui-ci eut d’ailleurs à intervenir à plusieurs reprises, autant quand Esopia se trouvait en trop mauvaise posture que lorsqu’il jugeait lui-même le sujet glissant pour sa propre personne. Parce qu’il n’était pas dupe : à travers la jeune femme dont Corvus semblait bien se moquer malgré ses sourires affables, c’était son cadet qu’il visait et avec lui qu’il jouait et s’amusait au mépris des règles les plus simples qu’imposait la bienséance. Qu’ils soient deux, quatre ou cent cela n’y changeait rien, les deux frères avaient toujours un mot(maux) pour l’autre dussent ils converser avec –comme au travers- des plus grands.

Aquila se redressa à sa dernière pique en se penchant légèrement en avant, les lèvres plissées sous la pique doucereuse qu’il réservait à son frère mais deux coups secs se firent entendre sur le bois, faisant imperceptiblement tiquer le cadet des Hunter qui déteste cordialement être interrompu. Il se redresse néanmoins, avec une langueur toute aristocratique de ceux qui n’ont jamais eu à se presser en rien. Un énorme sourire sur les lèvres, un masque d’ombre et de sang sur le visage, un costume d’excellente facture et la posture qui sied aux gens de la haute. Aussi Aquila ne dit rien, cherchant dans l’attitude ou les traits de celui qui lui faisait face comme dans les réactions de son frère, un indice quelconque qui lui aurait permis de mettre un nom sur cet hurluberlu.

- Arutha Kark, cela fait plus de 6ans en effet. Peut être même 7 ? Un temps que vous avez brillement sut mettre à profit, toutes mes félicitations.

Il lève sa coupe dans sa direction, soulignant et félicitant du même geste sa progression sociale. Il se tourna alors vers sa cavalière, ignorant délibérément le regard pétillant et le sourire amusé de son frère qui n’avait plus d’yeux que pour le nouveau venu.

- Permettez-moi de vous présenter Epsoia De la Rossa..

- Esopia. Esopia De la Rossa, enchanté de vous rencontrer Sir Kark. Corrigea la jeune espagnole dans un sourire légèrement crispé alors qu’Aquila retenait le sien autant qu’il s’interdit de jeter un regard en coin à son ainé. Voilà qui avait certainement du refroidir la jeune femme. Aquila espérait celle-ci assez susceptible pour ne pas chercher à le revoir sitôt les porte de la divine comédie passées. Toutefois la familiarité du fils du ministre de grande Bretagne à leur encontre pouvait malheureusement présenter un intérêt assez conséquent pour laver l’affront.