Ian jeta un œil par la fenêtre, vers le soleil qui descendait dangereusement vers l'horizon. Avec un soupir il s'éloigna de la table et partit vers la plus haute étagère de sa cuisine attraper presque sans y penser une bouteille de verre opaque avec une vieille étiquette sur laquelle était écrit à l'encre noire affadie par les ans "pour ta mauvaise période".

Il sourit en coin en soupesant la bouteille, presque vide, il faudrait qu'il demande à Murphy de lui refaire le plein. Pas que maintenant il soit toujours incapable de faire une potion tue-loup efficace, non, mais ils avaient pris l'habitude, depuis plus de 10 ans, ils n'allaient pas changer ça maintenant.

Il posa la bouteille sur la table de bois en réprimant un tremblement, et s'en servit vite un verre avant de la renverser. Il détestait ces deux ou trois jours avant la pleine lune, quand il la sentait arriver, et quand le loup s'agitait, se débattait, prêt à déchiqueter son corps d'humain pour vivre par lui-même, si seulement il pouvait.

Pendant ces quelques jours, Ian était fébrile, presque fiévreux, à cran, sur les nerfs, ses extrémités avaient tendance à picoter et il était hypersensible aux sons et aux odeurs…et c'était sûrement ça le pire. Combien de fois s'était-il pris à saliver abondamment à proximité d'un morceau de viande crue, ces jours-là? Il s'interdisait aussi tout contact physique un peu…intime avec n'importe quel autre être humain pendant ces moments-là, trop peur de retrouver son amant du moment le dos labouré de griffures...

Fronçant les sourcils pour se concentrer, évitant de laisser son esprit trop dévier sur des images de corps nus labourés de griffures, même s'il sentait son pouls s'accélérer et s'il dut ravaler sa salive rien qu'à l'idée, et prit le verre pour le boire d'une traite, les yeux fermés.

Ugh, décidemment, on croirait s'habituer à prendre cette horreur tous les mois pendant 10 ans, mais non, c'était toujours aussi ignoble. Il reposa le verre en réprimant un haut-le-cœur et jeta un nouveau coup d'œil vers la fenêtre, le soleil était complètement passé sous la ligne d'horizon et la nuit commençait à prendre ses droits.

Avec un soupir il quitta la pièce en attrapant une bouteille de whisky pur feu au passage, histoire de faire passer le goût de la potion, et se dirigea vers l'escalier qui descendait à la cave. Un, deux, trois tours de clés et un coup d'épaule pour ouvrir la vieille porte de bois, et le parfum de terre et d'humidité qu'il associait maintenant à ces nuits l'assaillit. La pièce était petite, sans fenêtre, histoire de ne pas ajouter la lumière directe de la lune à ses problèmes, le sol était en terre battue et les murs en pierre brute. Outre un vieux matelas dans un coin il n'y avait rien dans la pièce.

Il alluma les deux lanternes avant de refermer avec un grognement la lourde porte et donner à nouveau trois tours de clé. Alors bien sûr il avait pris la potion, il pouvait dormir à l'étage sans risques, ou continuer à vaquer à des occupations "normales". Mais voilà, le fils Blackburn était prudent, et puis de toutes façons, la lutte qu'allait bientôt mener le loup contre l'effet de la potion lui retournait assez l'estomac pour apprécier rester seul au frais toute la nuit…

Il rangea la clé et sa baguette dans la petite niche creusée à cet effet dans le mur, la referma et s'installa sur le matelas avec sa bouteille, appuyé contre le mur, résigné à rester éveillé toute la nuit…

Une première gorgée de whisky lui brûla agréablement la gorge alors qu'il sentait son ventre se tordre et sa colonne vertébrale se raidir. Les ongles de sa main libre étaient crispés sur le tissu du matelas et l'autre main serrait la bouteille comme si c'était la dernière chose qui le raccrochait à la vie. Il sentait de grosses gouttes de sueur couler le long de sa nuque et sa respiration s'accélérer. Il reprit une nouvelle gorgée d'alcool et se força à fermer les yeux, laissant son esprit s'évader loin de sa petite cave, alors que de vieux souvenirs revenaient.


Le dortoir Serpentard des deuxièmes années étaient un peu comme cette cave…sombre, humide, sans fenêtres, avec cette drôle de sensation quand on sait qu'on se trouve sous terre. Mais les lits confortables et les lourds rideaux de velours vert sombres donnaient une toute autre ambiance, plus cosy, plus confortable.

Et pourtant le petit Ian voulait quitter la chaleur de ses draps ce soir-là…comme beaucoup de soirs d'ailleurs. Ils étaient à Poudlard après tout, et le château regorgeait de passages secrets, d'endroit interdits à visiter, et tout le monde sait que c'est beaucoup plus excitant la nuit. Dans son lit, les yeux grands ouverts, il écoutait les respirations des autres garçons, essayant de deviner s'ils dormaient ou pas…

N'y tenant il s'était tourné et avait penché la tête entre ses rideaux, vers le lit à côté du sien.

"Murph!"

Il avait chuchoté, assez fort pour que son ami l'entende mais pas assez pour réveiller les autres, et il attendit qu'un grognement s'échappe de l'autre lit. Avec un sourire Ian se leva, déjà totalement habillé et passa la tête entre les rideaux du lit voisin, enjoignant son ami à se lever, sans même penser à lui demander, il savait que Murphy serait d'accord. Et s'il ne l'était pas, pas grave, il viendrait quand même.

Sur tous les garçons de leur année, Murphy était le seul qui le suivait dans toutes ses bêtises, depuis qu'ils étaient arrivés l'année dernière. En plus Ian l'aimait bien, il faisait tout le travail quand ils étaient en binômes en cours de potions, et Ian, les potions, il n'aimait pas. Comme toutes les autres matières il arrivait à s'en débrouiller, voire même à être très bon, mais Murph, lui, il adorait ça, alors autant le laisser faire…

Bref il était sûr que, même s'il venait de se faire refermer le rideau dessus, même s'il râlait, Murphy était en train de passer des vêtements pour venir avec lui. Ian enfila sa robe, vérifia que sa baguette était bien dans sa poche et attendit que son ami sorte de son lit, habillé de pied en cap, pour sortir du dortoir, presque fébrile.

Aujourd'hui il se demandait encore pourquoi il était sorti dans la forêt interdite ce soir-là. A l'époque il le savait très bien, c'était parce que Ryan lui avait dit que Sean avait appris par Macnair de 5ème année qu'une grosse bête avait été aperçue dans ladite forêt les soirs de pleine lune. Et il voulait la prendre en photo…ou prouver que ce n'était qu'un gros chat de gouttière, comme disait Murph qui faisait preuve d'un optimisme achevé, comme souvent quand ils sortaient dans le froid.

Mais il le savait maintenant, il se fichait de ce que lui avait Ryan ou Sean ou ce qu'avait vu Macnair, tout ce qui importait c'était cette petite poussée d'adrénaline, l'excitation d'enfreindre le règlement, de se mettre en danger…

Ils avaient pris l'habitude depuis un an de sortir du château en silence, ils connaissaient le chemin des cachots à la porte comme le fond de leurs poches, et savaient éviter les rondes du gardien de nuit, ou des professeurs, de toutes les fois où ils étaient sortis après le couvre-feu, pas une fois ils ne s'étaient fait prendre, ou du moins ils n'avait jamais été punis…

En quelques minutes ils étaient dehors et se dirigeaient plus ou moins à l'aveuglette vers la masse noire qu'était la forêt interdite. Ian s'arrêta à l'orée de la forêt près d'un certain caillou pris entre les racines d'un vieil arbre et murmura le sort qui dévoila la lanterne qu'il gardait dissimulée ici pour leurs petites excursions, histoire d'avoir la baguette prête à l'emploi.

Bon il était vrai qu'en tant qu'élève de deuxième année il y avait peu de chose qu'il puisse faire contre certaines des bestioles qu'ils étaient susceptibles de croiser dans cette forêt la nuit, mais bon, il se débrouillait, il se débrouillait même pas mal…l'avantage d'avoir un grand frère dans les brigades de police magique, les premiers sorts qu'il avait appris étaient des sorts d'attaque, et il affectionnait tout particulièrement les duels, dans lesquels il excellait. Donc bon, il pouvait toujours se débrouiller.

La lanterne tendue loin devant lui, baguette dans l'autre main, il s'avança entre les arbres, sentant Murphy quelques pas derrière lui. Lui ne devait pas avoir sa baguette prête…il savait lancer quelques sorts, mais ce n'était pas son fort, lui c'était plutôt les potions, et à moins qu'ils ne veuillent soigner les choses qui pourraient les attaquer, les quelques sorts qu'il maitrisait totalement ne leur serviraient à rien en cas de mauvaise rencontre…

Alors qu'ils s'enfonçaient dans l'obscurité de la forêt, Ian sentait son cœur s'accélérer, ils ne pouvaient plus rien voir d'autre que ce qu'éclairait leur petite lanterne, et le silence de la nuit était troublé par des bruits qui auraient pu paraitre normaux dans une forêt normale, mais qui étaient juste inquiétants ici et maintenant.

Un sourire que d'aucuns pourraient qualifier de terrifiant éclairait le visage de Ian qui sentait son cœur battre la chamade à ses tempes, l'adrénaline parcourant ses veines et le rendant attentif à chaque petit bruit. Ce fut d'ailleurs probablement la raison pour laquelle il fit un bond quand un gros craquement résonna à quelques mètres d'eux.

Il entendit Murphy faire quelque pas en arrière et se dépêcha de baisser la flamme de la lanterne à un minimum, et le cœur battant à 200 à l'heure, il avança vers l'endroit d’où semblait venir le bruit. Il avait fait à peine deux pas qu'un nouveau craquement résonna de l'autre côté de la petite clairière où ils s'étaient arrêtés.

De plus en plus excité, Ian revint vers son ami pour lui fourrer la lanterne dans les mains et sortir le petit appareil photo, baguette toujours pointée devant lui alors qu'il se ravançait dans l'obscurité sous les invectives de Murphy qui finit par éteindre totalement la lanterne et se reculer encore un peu.

Le petit brun riait un peu, complètement drogué à l'adrénaline, savourant le moment sûrement proche où il aurait ses photos et où il pourrait se moquer de Murph qui avait eu la trouille. Il s'enfonça entre les arbres, murmurant des

"Petit, petit…"

A l'intention de la bête qui était très probablement tout près. Quelques pas de plus, il pourrait la voir. Un nouveau craquement le fit tourner vivement la tête vers la droite, plissant les yeux pour tenter de distinguer quelque chose dans le noir.

Et soudain, sans un bruit, quelque chose sauta des fourrés sur sa gauche et lui atterrit sur le dos, refermant des crocs acérés sur son épaule. Ian tomba lourdement au sol avec un cri, lâchant l'appareil photo et se baguette sous le choc. Il ne voyait rien qu'une masse au moins deux fois plus grosse que lui, poilue, brûlante et le tenant plaqué au sol, et il sentait toujours la gêne des crocs dans son épaule, et la chaleur du sang qui se répandait sous ses vêtements, mouillant son bras, sa poitrine.

Étrangement lucide, il se dit à ce moment comme hors du temps qu'il devrait avoir terriblement mal, mais il ne sentait aucune douleur, pas encore, juste la nécessité de se débarrasser de cette chose. Il donnait des coups de pieds, se débattait en grognant alors que sa main droite grattait la terre, tentant d'attraper sa baguette. La bête poussa un grognement qui fit trembler tout le corps du petit garçon et des griffes tailladèrent son ventre, et il sentit à nouveau le liquide chaud se répandre sous ses vêtements, et les dents s'enfoncèrent encore dans son cou, serrant fermement sa gorge, apparemment décidé à la broyer.

La main de Ian se referma enfin sur sa baguette et il la pointa directement dans la gueule écumante de l'animal avant de hurler, rassemblant toute la force du désespoir :

"E…Everte Statum!"

Le sort avait été plus puissant que toutes les fois où il l'avait lancé, peut-être parce qu'il avait été lancé directement dans la gorge de la bête sur son ventre, si près qu'il avait senti la chaleur du sort lui brûler les joues, et une odeur de cochon grillé, peut-être parce qu'il avait été plus motivé que jamais à le lancer, toujours était-il qu'il avait vu dans la lumière jaune la bête s'envoler de son ventre, briser un jeune arbre derrière eux et venir se fracasser contre un tronc plus épais à quelques mètres d'eux dans un glapissement douloureux.

Terrifié, haletant, le garçon resta redresser sur un coude, la baguette toujours tendue et tremblante vers la forme noire prostrée. De l'autre côté il entendit son prénom alors que Murphy arrivait, l'air plus terrifié que jamais, la baguette sortie.

La forme bougea, tourna la tête vers l'un et l'autre et finit par partir, apparemment refroidi par le sort. Ian le regarda partir et finit par retomber allonger au sol, haletant, terrorisé, le cœur menaçant de sortir de sa poitrine pour courir un cent mètres, mais il n'avait toujours pas mal…il ne savait pas si c'était bon signe d'ailleurs.

L'épuisement l'envahit et il se sentit terriblement engourdi, mort de froid là où il ne sentait pas la chaleur du sang qui poissait sous ses vêtements. Il eut à peine la force de tourner la tête vers Murphy qu'il entendait arriver, éclairant la nuit d'un lumos bafouillé.

"Putain putain putain putain putain…"

Ian aurait ri s'il avait été un peu plus en forme, il semblait très très agité le pauvre petit. Bon d'accord il venait de se faire retourner par une bestiole particulièrement énorme, qu'il n'avait même pas réussi à prendre en photo d'ailleurs, mais il allait bien…par contre il n'allait pas échapper à la volée cette fois ci, quand il allait arriver à l'infirmerie comme ça.

Il sentit Murphy lui prendre sa baguette des mains pour l'allumer et commencer à marmonner quelques sorts au-dessus de son ventre et son épaule. Ah oui, lui c'était ça sa spécialité. Avec un père médicomage, il était plutôt doué dans ce genre de choses… Il poussa son ami de la main et se força pour dire :

"Laisse tomber, je vais aller à l'infirmerie, rentre au dortoir…"

En tentant de s'assoir.

"Essaye et je te cloue au sol au sens propre du terme!"

Le garçon haussa un sourcil étonné, il était peut-être dans un pire état qu'il croyait, il n'aurait pas cru que Murph refusera une occasion de se tirer d'affaire et de le laisser assumer seul ses bêtises. Il referma les yeux et finit par sentir le flot de sang s'arrêter sous sa chemise, et même quelques petites coupures se refermer. Par contre, comme si c'était écrit, il sentit une douleur horrible éclore dans son épaule et son ventre, alors qu'une vague de froid terrible l'envahit. Il ferma les yeux et un gémissement lui échappa alors qu'il combattait les larmes qui lui montaient aux yeux.

"Putain mais t'as failli te faire tuer! Je vais aller prendre de quoi te soigner à l'infirmerie"

Ian rouvrit les yeux vers son ami, fronçant les sourcils sans vraiment comprendre, qu'est-ce qu'il voulait dire?

"Nan mais je vais y aller je vais pas rester crever ici…je vais me prendre une volée mais là je crois qu'il faut…"

Il avait mal, très mal, et vu ce qu'il sentait coller sous ses vêtements il avait perdu pas mal de sang, il fallait aller à l'infirmerie.

"T'es dingue! Si t'y vas, tu vas te faire tuer!"

Il avait du mal à suivre, bien sûr qu'il allait se faire pourrir, surement se faire coller tout le reste de l'année, mais ils n'allaient pas laisser un élève saigner à mort non plus...

"Tu sais ce qui t'as mordu crétin?!"

Murphy était presque hystérique, il fallait qu'il se calme le petit, c'était lui qui s'était fait attaquer après tout, et lui était très calme, alors qu'est-ce qu'il avait?

"Euh, le truc qu'a vu Macnair?"

Répondit-il avec humour, il fallait que Murphy se détende maintenant, il fallait qu'ils rentrent!

"Ouais, et c'était un putain de loup le truc de Macnair!!"

Les mots mirent quelques secondes à faire leur chemin, et Ian tenta de se souvenir, ce qu'il avait vu à la lumière de son sort, un museau écumant, aux crocs pointus, des poils gris et noirs, des oreilles pointues, des yeux injectés…il leva les yeux pour voir la pleine lune filtrer entre les cimes des arbres…non, non ça ne pouvait pas être ça, il ne pouvait pas, ce n'était pas possible!
D'énormes frissons le secouèrent alors que ses yeux bleus électriques rencontrèrent ceux, plus clairs, de son ami. Murphy avait l'air terrifié, vraiment, profondément terrorisé. C'était la première fois depuis qu'ils se connaissaient qu'il voyait Murphy être inquiet pour quelqu'un, et que ce soit pour lui, ça avait tendance à encore plus le terrifier. Il lutta encore une fois contre les larmes et se releva difficilement en s'appuyant sur son ami alors qu'une seule idée passait en boucle dans son esprit…

Personne ne doit savoir…Murphy…