Pour être tout à fait honnête, Kaprice boudait comme une gamine. Dit comme ça et considérant les derniers événements, les problèmes actuels et autres nouvelles réjouissantes tombant tous les jours, on était en droit de lever les yeux au ciel et de dire que cette fille était définitivement un cas, peu digne d’intérêt. Certes. On pouvait aussi considérer que c’était plutôt une bonne chose : parvenir à vivre malgré tout, sans se torturer au quotidien était tout de même fort appréciable. Et cela lui arrivait toujours quand elle était avec Micah, quand elle pensait à Micah ou dans le cas actuel, quand elle s’était disputée avec Micah. Cela était extrêmement rare, malgré la précarité de leur situation (se retrouver dans des placards pour échanger quelques baisers quand il le pouvait ne pouvait être considéré comme le propre d’une relation pleinement épanouie), ils arrivaient toujours à tomber d’accord. Sauf cette fois. Il n’y avait rien de grave, pas mort d’homme dans tous les cas, mais disons qu’elle était plutôt contrariée. Pourtant, tout aurait du bien se passer. La veille était le 17 mars, soit l’anniversaire du jeune homme, pour lequel elle avait prévu de faire les choses bien. Elle savait que la situation lui pesait, surtout quand elle refusait de le voir en-dehors de peur qu’ils ne soient aperçus ensemble. Ils travaillaient ensemble en public, parfois, ce qui était une torture, mais elle ne pouvait pas l’amener chez Noah. Quant à aller chez lui … il y avait sa soeur et elle n’était pas certaine que ce soit une bonne idée, pour la sécurité de Jake. Qui savait si la jeune fille, persuadée qu’elle se moquait de son frère, n’allait pas finir par faire une gaffe ? Elle avait donc pris sur elle pour cette fois, mis ses réserves habituelles de côté et avait demandé à Aoden s’il était possible qu’il leur laisse son appartement pour la soirée. Son cousin n’avait pas été si difficile à convaincre et elle s’était levé plus tôt que prévu pour dresser la table, préparer quelques « plats » (reprenant quelques recettes de Jane qu’elle avait apprécié), pour lui glisser l’adresse dans la poche discrètement à Sainte-Mangouste en lui donnant rendez-vous pour le soir-même … et s’entendre dire que ce ne serait pas possible.

D’accord, elle aurait pu comprendre, elle n’avait pas prévenu (en même temps, ne s’agissait-il pas du propre d’une surprise ?), il fêtait toujours ça avec sa petite soeur, et le lendemain ils avaient congé tous les deux, ils pouvaient se retrouver chez lui, elle ne serait pas là et … et se disputer à voix basse dans la Réserve de Potions en faisant mine de chercher du Poussos n’était pas exactement évident, surtout lorsqu’on était interrompu par un chef de service qui rentrait, qu’ils devaient faire comme si de rien n’était et repartir chacun de leur côté. Il avait eu le temps de lui redire de venir chez lui le lendemain, qu’ils passeraient la journée ensemble et elle avait maugréé une vague approbation, avant de rentrer chez Aoden et de manger la glace qu’elle avait acheté en regardant un film nul. Les filles boudaient, c’était bien connu. Et il fallait dire qu’elle s’était donné du mal, donc qu’elle était évidemment déçue. Les moments qu’ils passaient tous les deux étaient bien trop courts et bien trop rares. Le procès imminent de Jake avait quelque chose de terrifiant et en même temps annonçait une libération prochaine. Il serait forcément déclaré innocent, il l’était et ils pourraient enfin respirer … mais s’il ne l’était pas ?

En résumé, Kaprice avait passé la soirée à bouder et à se torturer l’esprit, et c’était donc toujours en boudant et en se torturant l’esprit qu’elle s’était levée ce matin-là, qu’elle avait attrapé ce qui aurait dû être le festin de la veille, l’avait mis dans un sac avant de se préparer et de quitter les lieux en direction de l’appartement que l’élu de son coeur partageait avec sa soeur. Elle espérait vraiment ne pas croiser celle-ci, elle n’était pas forcément d’humeur pour des présentations officielles, cela aurait pu donc plutôt mal se passer. Elle avait pris ses affaires de cours dans un sac, pour le cas où elle rencontrerait quelqu’un de sa connaissance, histoire d’avoir l’alibi de « je pense à mon avenir et ai donc demandé des conseils, je vais retrouver le Médicomage Flint pour qu’il m’aiguille ». Fort heureusement, cela ne se produisit pas et ce fut donc légèrement soulagée, quoique toutous pas tellement à la fête que Kaprice se présenta devant la porte de l’appartement. Posant son sac plein de provisions et rajustant l’autre sur son épaule, elle se morigéna et finit par esquisser un sourire. Ils fêtaient son anniversaire, elle n’allait pas débarquer en lui hurlant dessus. Arrangeant rapidement ses cheveux, elle sonna, et attendit donc qu’il vienne pour que les festivités commencent … D'ailleurs, quand la porte s'ouvrit, elle ne trouva rien de mieux à dire que : Vous attendiez une livraison ? en ramassant son sac et en le lui tendant. Toujours charmante.

C’était drôle lorsqu’on y repensait. Le matin même de son anniversaire, Micah souhaitait pouvoir le passer avec Kaprice mais s’était résigné, pensant que cela ne serait pas possible pour une raison x ou y. Ou parce qu’elle ne pouvait tout simplement pas. Toutes les raisons étaient possibles et vu la situation dans laquelle ils étaient, Micah n’avait pas refusé la soirée d’anniversaire que Nina préparait pour eux deux. Quelque chose qu’ils s’efforçaient de garder depuis le confinement à Pré-au-Lard, même si la date d’anniversaire de Micah était bien trop proche de celle d’Emmett. Que pour arriver au 17 mars, il fallait d’abord supporter le 15 mars. Deuxième fois qu’ils ne fêteraient pas son anniversaire, deuxième fois que le frère et la sœur se retrouvaient seuls pour leurs anniversaires respectifs.

Micah avait un instant songé à inviter Kaprice à la maison le soir même pour qu’elle fête son anniversaire avec lui, comme il l’aurait voulu au départ mais se rétracta rapidement. Si Nina était dans la confidence depuis un mois, elle avait quelques réserves, ce qui était compréhensible. Cependant, une autre raison entra en compte : Micah n’était pas prêt à faire rentrer Kaprice dans ses complications familiales. Comme l’année précédente, Nina était toujours à cran deux jours après l’anniversaire d’Emmett. Et si elle faisait bonne figure pour son aîné, elle ne se forçait avec personne d’autre vraiment. Le médicomage ne souhaitait pas devenir l’arbitre d’un combat de filles pour la soirée, même si l’une et l’autre auraient joué aux hypocrites pour simuler une bonne entente et ne rien gâcher. Inconsciemment ou presque, Micah voulait laisser Kaprice en dehors du « capharnaüm Flint » tant qu’il le pouvait.

Alors lorsque cette dernière lui glissa un papier avec une adresse dessus lors de leur « détour » dans la Réserve pour lui donner rendez-vous, Micah se sentit tout de même mal de refuser. Pas parce qu’il ne voulait pas mais parce qu’il ne pouvait pas. Malgré la dispute et pour saluer les efforts de la surprise qui tombait à l’eau par sa faute, Micah avait réussi à convaincre une Kaprice boudeuse de tout décaler au lendemain. Il ferait en sorte de virer Nina de l’appartement pour au moins vingt-quatre heures et pourrait profiter de sa compagnie pendant leur journée de repos. Un deal raisonnable, non ?

Le plus difficile, mis à part se disputer à voix basse avec Kaprice dans une réserve de potions avec peu de place avant d’être interrompu par un chef de service, était de mettre Nina à la porte après la soirée d’anniversaire qu’ils avaient passé. Elle aussi allait râler et bouder avant d’accepter, et ça n’avait pas raté. Le matin même, lorsque Micah demanda à Nina de squatter chez une de ses amies jusqu’au lendemain, elle râla un peu, bouda un peu plus mais accepta, après que son frère lui ait promis de se rattraper. Nina prépara alors en quatrième vitesse ses affaires avant de transplaner, sans faire une seule remarque sur l’arrivée imminente de Kaprice. Etait-ce un signe qu’elle commençait à l’accepter ? Pas forcément. Mais Micah était soulagé d’avoir au moins un poids retiré sur la conscience. Il ne lui restait plus qu’à éliminer celui portant l’étiquette de Kaprice dessus.

A peine sa sœur partie, Micah agita sa baguette dans tous les sens pour nettoyer l’appartement, le ranger et avoir un rendu sympathique. Seulement en bonne ménagère qu’il n’était pas, il dût accomplir une ou deux tâches à la main. C’était dans des moments pareils qu’il regrettait sa grand-mère, voire un elfe. Car si l’appartement n’était pas dans un sale état, ni lui ni sa sœur n’avaient forcément le temps –et l’envie– de faire le ménage aussi bien qu’un elfe le ferait. C’était propre mais ce ne serait jamais propre au niveau « elfique ». Or aujourd’hui, il le fallait. Au final, Micah fut satisfait de son travail et prit le temps de s’asseoir quelques instants sur le canapé, avant de se remettre sur ses pieds d’un coup en voyant l’heure. Il ne lui restait plus qu’à se changer puisque Kaprice amenait le repas, certes, mais il était bien loin d’être en avance. Nervosité et nettoyage ne faisaient vraiment pas bon ménage.

Micah laissa échapper un soupir satisfait lorsque la sonnette retentit, il était prêt. Ultra nerveux mais prêt. Il remit en place son t-shirt pour la douzième fois en deux minutes, vérifia ses cheveux et ouvrit la porte avec un sourire, espérant que la dispute de la veille ne refasse pas surface. Pas de suite en tout cas.

« Une livraison ? Apparemment, oui. », dit-il sur un ton se voulant humoristique en prenant le sac que Kaprice lui tendait. La nourriture, sans doute. Micah vérifia que le couloir était bien vide avant de déposer un baiser sur les lèvres de cette dernière en guise de bonjour et de la laisser passer. « Merci d’être venue. » Cette phrase, plutôt maladroite, lui semblait être la seule à dire. Le Médicomage était content de la voir et de voir également qu’elle n’était pas en train de bouder. La suite et la fin de la dispute seraient pour plus tard.

« Installe-toi, fais comme chez toi le temps que je sorte les provisions. Tu veux quelque chose à boire ? » La cuisine de l’appartement étant de type américaine, Micah pouvait aisément voir Kaprice par-dessus le comptoir. Il déballa les aliments et fut étonné de voir autant de plats devant lui, renforçant le sentiment de culpabilité dont il voulait se débarrasser depuis la veille. A nouveau, il s’en voulait de lui avoir dit non. « Ça a l’air délicieux, qu’est-ce que tu nous as préparé ? »
Micah décida de profiter de sa seconde chance. Après tout, elle était là pour ça. Et leur situation déjà compliquée n’avait pas besoin d’une dispute aussi futile en plus.