Halloween.
Thomas avait toujours eut un faible indéniable pour cette date. Il faut dire que vivre durant sept années à Poudlard vous habituait à attendre ce jour tout au long de l’année. Il se souvenait comme si c’était hier des lanternes-citrouilles flottantes et des banderoles de chauves-souris vivantes qui s’accrochaient aux cheveux des filles dans les couloirs du château, de l’agitation des fantômes et des blagues stupides de Peeves, et bien sûr il se souvenait sans mal du festin. Les plats remplis de viandes sanglantes et de galettes de potirons et de gratin de patates douces et de cheese cake et de crème de potimarron aux champignons et de tartes à la marmelade et de chauves-souris confites et de jus de citrouille à la cannelle. A l’époque Julian et lui se retenaient de manger durant 48 heures pour être certain d’avoir assez de place pour prendre une portion de tout. Une fois même, en troisième, il s’était rendu malade et avait rendu le contenu orange de son estomac dans un bac de fleurs. Bref.

Il fallait également avouer que les récents évènements et sa nouvelle situation le rendaient tout particulièrement nostalgique. Nostalgique du temps où ses préoccupations majeures le soir d’Halloween se résumaient à son seul estomac. Encore que ce soir, c’était le cas également dans une certaine mesure. Il remplaçait simplement les plats riches et les mets délectables par du liquide, probablement du rhum, un peu de pur feu et beaucoup d’hydromel. Et puis le décorum n’était pas aussi festif certes, Poudlard avait bien meilleur allure que le Quartier Général de l’Ordre, surtout en temps de fête, mais tout comme lors des festins seraient présents ses amis. Ses amis Phénix, fallait-il le préciser ? Puisque désormais ils étaient les seuls en qui il pouvait avoir toute confiance et se montrer au grand jour. Cet état de fait raccourcissait drastiquement sa liste de connaissances, mais pour se rassurer, il songeait qu’il n’avait fait qu’épurer et ne gardait plus aujourd’hui que la fine fleur.

Puis de toute façon ils n’étaient même pas là pour Halloween. Ca résolvait la question. Ou pas. Quoi qu’il en soit ce soir, il n’allait guère se soucier de la moindre question ou du moindre problème. Ou en tout cas il allait essayer et il espérait vivement qu'il en serait de même pour tous. C’était à peu près le premier truc amusant qu’il faisait depuis la fin du mois d’août, il espérait ne pas avoir déjà oublié comment on faisait la fête. D’un autre côté, vu la réunion qu’ils préparaient en l’honneur des 42 ans de Bruce, il y avait fort à parier que l’ambiance un peu morose et tendue du QG ne laisse place à plus de légèreté.

Ce n’était pas la Grande Salle de Poudlard et il n’y avait ni guirlandes ni lanternes-citrouilles, pas plus de délicieux banquet, mais Julian et lui avaient fait de leur mieux pour que l’ambiance de la pièce où ils se réuniraient soit chaleureuse et accueillante pour les autres. Un bon feu dans l’âtre, une table de bois et ses chaises assorties, quelques pichets par-dessus. Ce n’était pas grand-chose, mais l’intention y était, à n’pas en douter. Thomas espérait tout d’même que leur vieux Blackburn préféré apporte quelques bonnes bouteilles de son écosse natale. Peut-être que d’autres se fendraient de l’un ou l’autre breuvage également. Tom avait fait passer le mot comme il avait pu et l’invitation s’était relayée toute seule parmi leurs rangs après cela. Il espérait que le maximum de personnes serait présent. Il n'avait guère de doutes, puisque c'était pour Bruce qu'ils se réunissaient.

Terminant de trifouiller dans les braises rougeoyantes de l’âtre, Tom se redressa de tout son long et ébaucha un sourire.

« C’est sûr qu’on est mieux reçu au Divine Comédie, mais je pense que cela fera l’affaire »

Le cœur saigne, mais les sanglots ne se font plus entendre. Trop de larmes versées. Ses yeux n’ont plus rien pour pleurer. C’est comme s’il s’étouffait. Respirer devient un réflexe douloureux. L’oxygène se fraie un passage dans ses poumons mais ça le dévore. Une violente douleur, constante, dans la poitrine. Qui prend de l’ampleur à chaque heure, à chaque minute, à chaque respiration. Est-ce cette sensation, le sentiment d’abandon ? Est-ce seulement possible d’avoir plus mal encore ? Lorsqu’on en vient à attendre une quelconque souffrance physique pour simplement ne pas devenir fou de trop de tristesse, c’est qu’on est sans doute perdu. Derrière ses yeux mi-clos et ses lèvres résolument scellées, son âme hurle son désespoir dans un silence macabre. La lueur dans ses pupilles s’est éteinte. Chaque nouvelle journée est une épreuve. Comment peut-il réellement vivre alors que l’ignorance a fait de lui son esclave ? Vingt-deux jours sont passés depuis qu’il est parti sans revenir. Vingt-deux jours et aucune nouvelle. Il s’est battu avec des amis. Il a hurlé contre Wallas pour qu’il le laisse partir pour le chercher. Il a même essayé de son propre chef, mais ils furent nombreux à lui interdire de sortir tenter le diable. Il a finalement désobéi, mais on le retrouva et ramena rapidement au quartier général. Leur leader refuse de lui donner la moindre information concernant sa mission. Il ne savait donc de toute façon où chercher, et son entreprise fut vaine. Il a l’impression que personne ne se sent concerné par sa disparition. Les gens font mine de s’inquiéter, mais ne font rien pour le retrouver. Ils se contentent d’attendre, lui assurent que quelque chose va être mis en place, mais que ce n’est pas le bon moment, que les choses sont critiques ces temps-ci. Pas le bon moment. Cet ordre du Phénix n’est juste qu’une énorme plaisanterie.

Son poing fermé s’écrase brusquement sur le mur.

Vingt-deux jours. Et dans son esprit, il est mort. Parce que jamais, jamais il ne le laisserait sans aucune nouvelle pendant tant de temps. Il trouverait un moyen de le mettre au courant, d’une façon ou d’une autre. Mais Zahid est Homme, et l’Homme est incapable de ne pas espérer. Et tant qu’il n’a pas la confirmation d’un décès, il y a cet fol espoir qui brûle comme un brasier ardent dans son cœur, qui broie ce dernier et rend son esprit malade à l’idée qu’il puisse être captif. L’ignorance est la pire des compagnies. Et dans l’étroitesse de sa chambre, elle l’oppresse et l’asphyxie. Il n’y a que la présence de Diego qui ne le contrarie pas, et qu’il désire si fort chaque minute qui passe. Il est là, tous les jours. Et tous les jours, il vient se nicher dans la chaleur de ses bras, pour juste fermer les yeux et ne pas se sentir abandonné. Et si son ami n’était pas là, il sait qu’il ne tiendrait pas.

L’œil vide, il observe son carnet usé brûler par la flamme de son briquet qui de sa faible lueur éclaire ses traits émaciés, enveloppés par l’obscurité de la pièce.

Bientôt, la fatigue et la douleur provoquent en lui frayeur de cette noirceur propice aux images les plus morbides que son esprit malade puisse imaginer. Alors, le ventre noué, la respiration rapide, il se redresse et quitte la pièce précipitamment. Puis il longe les murs, le regard perdu, le pas incertain, tel un fantôme errant sans but.

Et, soudain, il débarque dans l’une des pièces principales du quartier général. Et un léger air surpris passe sur ses traits en voyant le feu brûlant joyeusement dans la cheminée, les tables, les pichets. Et Thomas, Julian, Ted. Ce n’est qu’à cet instant qu’il se souvient. L’anniversaire de Bruce. L’information lui paraît tellement décalée par rapport à tout ce qu’il ressent qu’il manque un instant de fuir, de peur d’être dans l’incapacité de gérer la situation.

Mais une vague de culpabilité l’envahit, et ses yeux s’éteignent de nouveau. Il ne peut pas le fuir, pas Bruce, pas après tout ce qu’il a fait pour lui. Alors il fait un léger signe de tête aux personnes présentes, et va s’assoir en face de l’âtre, les flammes dansant dans ses yeux, cherchant à rassembler le courage nécessaire pour ne pas plomber la futur fête. S’il tiendra toute la soirée, il ne sait pas. Mais il doit essayer. Pour Bruce qui ne l’a jamais abandonné.

« Thomas, tu dirais quoi si je t‘annonçais que je tombe amoureux? »

Fort heureusement, la fiole de rhum que venait de lui tendre Julian n’était pas encore arrivée à ses lèvres au moment où la question avait atteint son cerveau. Si ça avait été le cas il y a fort à parier que Tom se serait étranglé avec sa gorgée et que l’alcool lui serait repassé par le nez. Ca s’appelait ‘l’effet Julian’, et après une vie d’expérience Thomas réussissait encore à se faire surprendre. Quoi qu’il en soit, assurément maintenant il avait besoin de quelque chose de fort dans le gosier, comme pour faire passer la pilule. Pas que la question en elle-même le choque, c’était plus compliqué que ça.

C’était plutôt tous ces changements autour de lui qui lui donnaient cette impressionnante sensation de vertige. Son quotidien entier venait de prendre un tout nouveau visage, pas des plus agréables, et toutes ses habitudes étaient parties en fumée. Il n’était pas le seul, c’était le cas de presque toutes ses connaissances de l’Ordre. C’était une période intense et troublée, pour tous sans exception. Et lorsqu’ils pensaient que c’était terminé, ça ne l’était tout simplement pas. Comme un interminable effet domino qui, en toute logique, avait également un impact profond sur les gens. Certains devaient dire adieu à certain pan de leur personnalité tandis que d’autre, comme Julian, pouvaient enfin s’atteler à développer en eux des choses auxquels ils ne s’étaient encore jamais frotté de tout près.

Tom n’était pas réfractaire au changement, mais quand bien même, le temps d’avant allait lui manquer. Le temps où il était le raisonnable marié et amoureux au meilleur ami volage et réfractaire à toute idée d’engagement. Ce n’était franchement pas un mal pour Julian, mais ça n’en restait pas moins très déstabilisant de voir toutes ses certitudes rassurantes disparaitre. Portant enfin la bouteille à ses lèvres, il engloutit quelques lampées d’alcool avant de répondre à son meilleur ami :

« C’que je dirais ?... je dirais que…que j’espère que c’est pas de moi que tu parle parce que tu n’es pas sans savoir que mon cœur n’est plus à prendre » répliqua-t-il avec grand sérieux « Je te dirais aussi que je vois très bien où tu veux en venir et que je t’ai à l’œil… » en lui rendant sa fiole.

Et cette fois il y avait bel et bien une petite pointe de menace dans son ton. De la menace amicale et pleine d’amour fraternelle, mais de la menace quand même puisque contrairement à ce que Julian et Eire semblaient croire ils n’étaient pas des plus discret. Et même si Tom partait de longues heures chaque jour ils vivaient tous les quatre en huis clos dans cette petite maison, avant ça ici, au QG. Il aurait vraiment du le faire exprès pour ne pas remarquer ce qui couvait entre eux. Pour l’instant il évitait de s’en mêler parce que s’il s’avisait de le faire, Eire allait l’envoyer balader et ensuite il aurait Nora sur le dos. Merci bien. Il considérait la jeune femme presque comme une petite sœur mais il n’en n’était rien et il n’avait aucun droit sur elle, aucun droit de lui interdire de voir le moindre garçon. C’était malheureux mais c’était ainsi et il allait tant bien que mal s’efforcer de respecter ça. Ca ne voulait pas dire qu’il ne comptait pas s’en mêler, mais pas encore. De toute façon mieux valait mille fois Julian que son abruti de beau-frère-Keenan-le-noyé. Dans l’idée, c’était même génial, ses deux meilleurs amis ensemble. Que demander de mieux ? Oui mais justement, et si ça se passait mal… ?

La voix du jeune Lupin le tira de ses pessimistes pensées et aussitôt il se grima d’un large sourire accueillant.

« Salut Ted ! Non rassure-toi, tu es pile à l’heure, viens donc t’installer près de nous »

Une fois que Ted les a rejoint et a prit place sur l’un des fauteuils, Tom s’apprête à lui demander d’emblée comment se passent les choses pour lui et sa double identité. Avant de se retrouver dans cette galère, il n’avait jamais réellement noué contact avec le jeune médicomage. Les conditions ne leur permettaient pas un rapprochement drastique non plus mais depuis la fin du mois d’août Tom se tenait très au fait de tout ce qui se passait pour les autres fugitifs. Il prenait des nouvelles de tout le monde le plus souvent possible et c’était une bonne manière de rester connecter au monde extérieur, perdu qu’ils étaient sur leur île écossaise trous les quatre. Il tenait à ne jamais oublier qu’ils n’étaient pas seuls au monde dans leur misère et que d’autres subissaient le même stress qu’eux. Ted en faisait partie. Sauf que les questions n’eurent pas l’occasion de passer la barrière de ses lèvres. Noah venait de faire irruption et sa mine déterrée lui avait coupée la chique.

Comme dit, Tom se tenait très au fait des aventures de chacun et il n’était pas sans savoir que Leo était à ajouter sur la liste des disparus. Lui-même y avait figuré, puis Eire, puis Ethan. C’était désormais le tour de l’ancien serveur des Trois-Balais qu’il savait pertinemment être proche de Noah. Quelques souvenirs de cette affreuse journée du Triathlon lui revinrent en mémoire et une vague de sympathies teintée de tristesse le submergea, pourtant il se retint d’adresser le moindre regard trop compatissant au plus jeune. Lui-même haïssait qu’on lui serve ce genre de moue et lui sourire d’un air niais ne ferait pas revenir son ami. A boire, voilà ce dont Noah avait besoin ! Ca fonctionnait toujours très bien sur lui en tout cas, et ils étaient de toute façon un peu réuni pour ça après tout. Se vider l'esprit.

« Bien, je vais nous servir à tous un grand verre d’hydromel, ça fera venir les autres » déclara le sang-pur avant de se diriger vers l’un des pichets « Vous croyez que quelqu’un pensera au gâteau ? J’avoue que j’ai totalement zappé cette partie… mais c’est un excellent hydromel par contre ! » se justifia-t-il.

Thomas avait évité de répondre à la question d’Eire qui avait capté quelques mots de trop, préférant feindre qu’il n’avait pas bien entendu, trop absorbé par son hydromel. C’était un peu idiot au fond tous ces non-dits car en vérité tout le monde, ou du moins tous les trois savaient exactement ce qu’il avait voulu dire par-là. Sauf que désormais ils n’étaient plus seul, le jeune Ted les avait rejoints et bientôt, ce fut le tour de Clint, que Thomas accueilli d’un large sourire. Il n’avait plus eut l’occasion de croiser son ami depuis la fin du mois d’août, ici même, au moment où leurs portraits avaient été publiquement diffusé. Il savait le né-moldu en sécurité pour le moment, mais n’en n’était pas moins bien content de le voir en pleine santé et d’après ce qu’il voyait : d’humeur festive.

Tant mieux. Il préférait les bonnes vibrations communicatives de son ancien camarade de classe plutôt que de subir les allusions et autres regards énamourés que se lançaient ses deux colocataires du moment… Thomas s’attela donc à servir autant de verre d’hydromel qu’il y avait d’âmes dans la grande salle des cheminées et les distribua les uns après les autres en observant Clint et Teddy s’empresser de tout installer avant l’arrivée de Bruce. En grand curieux de nature, Thomas passa donc les dix minutes suivantes à assaillir les deux travailleurs de questions sur le matériel qu’ils manipulaient, d’évidente origine moldue, mais fut interrompu par l’arrivée de Lauren.

Se retournant sur elle, il gratifia la jeune femme d’un rire bref qui accompagna le sien. Elle venait tout juste de sauver sa réputation d’organisateur de fête et ne semblait même pas s’en réjouir. Après tout c’était lui qui avait oublié de faire passer le mot concernant le moindre gâteau/cake/aliment consommable durant une fête d’anniversaire entre adultes frustrés par la vie. Des adultes frustrés qui méritaient bien une petite portion de sucre et de chocolat pour jouir du peu de liberté dont ils disposaient encore…

« Thomas, ta femme va mieux ? Le bébé ? »
« C’est pour bientôt. On fait aller » lui répondit-il en lui rendant sa bise et en lui prenant le dessert des mains.

La laissant à ses salutations avec les autres il s’empressa de poser la pâtisserie sur la table nappée et d’y pointer sa baguette pour un sort réfrigérant. Cela fait, il leva son poignet à hauteur d’œil pour vérifier l’heure. La petite aiguille se rapprochait dangereusement du « c’est presque l’heure », aussi Tom s’empressa de terminé son verre d’une seule traite - puis de le reremplir évidemment - avant de se tourner vers les autres pour les avertir que l’inviter d’honneur ne tarderait plus. Il pressa Clint et Ted pour qu’ils terminent leur installation musicale et secoua tous les autres pour qu’ils se tiennent prêts. Tout le monde n’était pas encore là mais cela n’avait guère d’importance. Compte tenu de la situation actuelle, la petite sauterie qu’ils étaient parvenus à mettre sur pied était déjà rudement bien partie. Ils avaient un endroit chaud, sec, sécurisé, de l’alcool, un gâteau et de la musique, et puis surtout, ils étaient ensemble. Toute autre exigence aurait semblée superflue.

Quelques minutes tard ils se hâtèrent de prendre tous position et à plusieurs, ils firent taire les foyers qui crépitaient dans les cheminées et les bougies sur chandelier qui éclairaient la grande pièce. Il fallait qu’ils soient tous plus ou moins syncro pour rallumer les lumières et dans l’expectative d’une arrivée foirée il était difficile de se retenir de glousser. Pourtant le bruit typique de griffes canines qui trottine leur soutira un silence presque parfait. Tous ceux qui connaissaient Bruce connaissaient aussi son ours de compagnie, qui devait précéder son maître de quelques pas seulement. Et en effet, après l’animal vint l’humain qui pénétra dans la pièce sombre d’un pas hésitant.

De quelques coups de baguettes tous les feux de la pièce se rallumèrent et officiellement, la fête commença. Thomas accepta sans broncher les baisers claquant de son armoire à glace préférée, un grand sourire de requin innocent sur le visage. Pendant que son ami faisait le tour pour étreindre les uns et les autres, Thomas anticipa le besoin et ramena au grand blond un verre rempli d’hydromel. Fourrant le godet dans l’une de ses grandes paluches, Tom leva son verre en direction de leur aîné au centre de l’attention.

« Levons nos verres à Bruce ! Puisse son aura solaire de Phénix continuer de nous tenir chaud pour l’hiver qui vient, et qui sera rude… Joyeux Halloween mon vieux » lui sourit Tom en posant une main sur sa solide épaule.

L’instant suivant, il faisait teinter son verre contre celui de Bruce et s’envoyait cul-sec le contenu du sien, laissant les autres adresser leurs vœux au concerné.

Sur le calendrier de la cuisine (spécial dragons du Nord), le 31 octobre était encerclé à l’encre rouge. De l’écriture brouillonne qui était celle d’Alec était inscrit deux mots : « Bday Bruce ». Le menton appuyé sur ses mains jointes, la jambe agitée d’un tic nerveux qui la faisait bouger rapidement, Alec débattait encore sur le bien-fondé d’aller se distraire dans cette soirée. Les paroles d’Eireann lui traversaient l’esprit et se répétaient inlassablement : Passe au Q.G., n'hésite pas à venir voir tes amis. On en a fait une sorte d'auberge plutôt accueillante, tu sais ? Au moins, ça avait l’heur de le faire sourire. Il avait même préparé des cupcakes orange et noirs spécialement pour l’occasion après tout. Cecilia était partie à la chasse aux bonbons déguisée en pompière avec des amis de la maternelle. Heureusement que la petite était d’un naturel sociable. Comme elle passerait la nuit chez Julia, il avait l’esprit tranquille pour occuper sa soirée comme bon lui semblait.

Il savait que s’il restait à faire les cent pas chez lui, à ressasser les événements des dernières semaines, ça ne le rendrait que plus morose encore. Et puis c’était l’anniversaire de Bruce, le papa ours de l’Ordre. C’était la moindre des choses que de faire acte de présence. Les cupcakes ne se mangeraient pas tout seuls, après tout. Au dernier moment avant de transplaner, il se ravisa, sa guitare échouée sur le canapé lui faisant de l’œil. Il ne l’avait plus touchée depuis son retour du Brésil. Il la prit avec douceur, presque amoureusement et la rangea avec précaution dans son étui. Fin prêt, il transplana donc à Londres, se doutant bien que, vu l’heure, il ne serait pas le premier arrivé. Comme de fait, déjà plusieurs connaissances et amis étaient présents. Mais pas le principal intéressé. Encore heureux. Alec avait à peine eu le temps de déposer son plateau de cupcakes et de se servir un verre que c’était déjà le moment de crier SURPRIIIISE! Il leva son verre et trinqua avec son voisin quand Thomas rendit hommage à Bruce.

Ainsi, la fête pouvait commencer.

Le poids de sa guitare lui semblait étrangement plus élevé que dans son souvenir et il se demandait si ce n’était pas plutôt son imagination qui se moquait de lui. Eire insisterait sans doute pour l’entendre jouer, après tout, elle était déjà venue le voir quand il avait offert une prestation aux Trois balais. Bon, évidemment, ça n’avait pas été le spectacle du siècle, mais c’était un bon point de départ pour se faire connaître. Dans cette industrie, il y avait une bonne part du succès qui était dû au bouche-à-oreille. Mais voilà, encore fallait-il qu’il veuille en faire une carrière…

Alec se rapprocha de l’attroupement, sourit à Thomas, à Eire et aux autres, puis plongea son regard dans le liquide doré de son hydromel. Avait-il bien fait de venir? Sans doute, ça lui changerait les idées, et dans les bons coups comme les mauvais, il fallait savoir s’entourer. Mais il ne pouvait s’empêcher de trouver qu’il détonait dans le groupe, sans doute pas autant que d’autres, qui traversaient des épreuves autrement plus difficiles que les siennes. Alors avait-il le droit de se plaindre? Non. Il devait se montrer fort, sourire, et soutenir tous ces gens qui avaient perdu leur liberté. Et ça commençait par cette petite fête. Il leva la tête, laissa son regard vagabonder, et repéra une autre guitare. Fronçant les sourcils, il repassa mentalement la liste des gens qu’il connaissait, mais il lui semblait qu’aucun ne jouait d’un instrument.

« À qui est cette guitare? » demanda-t-il à la ronde. Si ça se trouvait, il pourrait peut-être improviser un duo, ce serait bien…

Cupcakes en forme de dragons, sisi!:

Une petite pression sur son flanc l’avait machinalement obligé à se retourner. Faisant face au vide, il baissa la tête sur une trentaine de centimètre avant d’enfin tomber nez-à-nez avec la jeune femme. Et durant quelques petites fractions de secondes il eut bien du mal à définir qui se trouvait là devant lui. A l’intérieur de son cerveau, dans le tiroir mental qu’il réservait à Rain, il y avait les informations « rousse » et « actuellement à l’autre bout du monde ». Comme information subsidiaire l’on trouvait aussi « incompatible avec Alec pour une durée indéterminée ». Comme Alec était là, il ne s’était du coup pas attendu un seul instant à se retourner pour tomber sur sa moitié. Ex-moitié. Il devait sans cesse se corriger avec ça. Il les avait connu de paire, les avait côtoyés de paire durant des années, au fond, lui aussi apprenait à leur céder une identité propre maintenant que c’était terminé. Il était obligé d’arrêter de les voir comme une unique entité constituée de deux pôles (Nord et Sud, facile de deviner le quel était le quel) et se devait de les considérer comme deux touts à part entière aujourd’hui.

« Rain ?! » souffla-t-il, les yeux ronds pour la scruter des pieds à la tête.
« Je ne vais pas rester longtemps, mais je voulais voir comment vous alliez… ma présence… j’sais pas comment elle va être prise… »

Par automatisme il se détourna pour lancer un bref coup d’œil en direction d’Alec, avant de porter une main vers le bras de la jeune femme pour l’attirer à lui et déposer un bref baiser sur son front.

« Ne t’inquiète pas trop pour ça » répliqua-t-il d’un petit sourire rassurant.

Bien qu’en vérité il ignorait totalement de quelle manière réagirait Alec lorsqu’il se rendrait compte que la jeune femme était là. S’étaient-ils déjà revus tous les deux ? Avaient-ils gardés contact durant tout ce temps ? Tom n’en n’était pas certain et être un fugitif n’encourageait pas la prise de nouvelles fréquente.

« Il y a quelque chose que je puisse faire ? »
« Hin ! Me faire un câlin voilà c’que tu peux faire ! » s’exclama-t-il sur le ton de l’évidence.

Après la manière dont elle s’était envolée, elle lui en devait plus qu’un seul mais puisque la situation était tout de même un rien délicate il ne comptait pas tous les lui réclamer d’un coup. Comme il ignorait totalement comment allaient les choses entre les deux anciens tourtereaux il voulait être sûr de bien agir envers les deux pour ne pas ensuite se retrouver entre le marteau et l’enclume, ou être l’excuse dont ils avaient besoin pour s’entredéchirer ! « Je t’ai vu ! Tu la prise dans tes bras ! Y’a quelque chose entre vous ? » ou bien « Tu as passé bien plus de temps avec lui pendant la fête et j’étais toute seule comme une idiote ! »

Warf, qu’importe ! Ils étaient là pour s’amuser ce soir et il était surtout terriblement content de la voir. Il avait gardé le contact avec Alec puisqu’il était resté dans le coin, mais il n’avait plus vu Rain depuis ce qui lui semblait être des lustres et n’obtenait plus d’elle que quelques trop rares courrier vagues. Difficile de faire mieux dans leurs situations respectives. Mais elle avait l’air bien. Nerveuse aussi, bien sûr, mais bien. Ou mieux, en tout cas. Il espérait simplement qu’elle ait trouvé ce qu’elle était partie chercher.

« Je suis vraiment content que tu sois là, tu as bien fait de passer ! Je sais que ce n’est pas l’ambiance idéale pour se raconter nos vies respectives mais personne ne nous en voudra de faire bande à part pour dix petites minutes, tu me dois bien ça ! » et se disant, il l’avait prise par la main pour l’entrainer vers la table ou reposaient un gâteau, des cupcakes-dragons-verts-fluos, des pizzas fumantes et des cookies, un tableau parfait grâce à Lauren, Alec et Clint, qui entamait d’ailleurs un morceau connu en déclenchant quelques exclamations et hululements joyeux parmi les invités. Une ambiance sonore qui mit d’ailleurs la touche finale à ce début de fête prometteur « Je n’arrive pas à croire que tu ais changé la couleur de tes cheveux. Je vais devoir te dénoncer à l’association des roux aux yeux bleus d’Europe, tu m’en vois désolé, mais tu sais que je lutte activement pour la cause » blagua-t-il tout en découpant deux parts de gâteaux qu’il plaça sur deux serviettes. Il espérait surtout la détendre un peu et adopter une attitude aussi naturelle que possible pour gommer son malaise au maximum « Je rigole bien sûr, tu es très belle et ça fait ressortir tes yeux » et il accompagna sa remarque d’un sourire charmeur, en maître des compliments fleuris qu’il était. L’instant suivant il mordait dans sa part de gâteau et changeait de tête. Aussi ‘surprenant’ qu’une dragée surprise… « Oops » il redéposa discrètement sa part sur la table « En fait, je vais plutôt opter pour de la pizza. Allons dis-moi ! Comment tu te sens ? Tu as pris le soleil je vois. J’espérais qu’ils nous trouvent une planque au chaud moi aussi, mais c’est raté. Tu reste quelques jours j’espère ? »